La fréquentation des salles obscures fournit les conditions les plus propices à la transe hypnotique. Comme jadis les prisonniers dans la caverne de Platon, nous voilà fascinés par le jeux d’ombres et de lumières projetées sur la paroi. Ce rêve immersif qui nous absorbe se donne pour une étrange réalité, un souvenir d’événements qui nous seraient arrivés à notre insu et dont nous ressentons avec toute la puissance d’un ressac, la portée inattendu sur le cours de notre vie ordinaire.
Il n’en reste pas moins vrai que ce déjà-vu saisissant d’un événement aboli s’obtient plus facilement avec Mulholland drive de David Lynch qu’avec Banana Boulevard, du trop méconnu Richard Balducci. A quoi tient donc cette singularité des films de David Lynch ?
Le créateur de Blue Velvet et de Twin Picks utilise tout simplement un procédé bien connu d’induction hypnotique qui s’articule en trois étapes :
1. La confusion
2. La dissociation
3. La suggestion
La confusion
Il s’agit d’abord d’exposer aux spectateurs une intrigue labyrinthique aux repères spacio-temporels brouillés. A ce stade, il est important d’appuyer lourdement sur tous les clichés du polar pour faire croire à la résolution d’une énigme particulièrement rêtive à l’investigation, là où ne se déroule en fait qu’une histoire sans queue, ni tête et pour tout dire « à dormir debout ». A ce jeu-là, toutes les facultés analytiques et rationnelles du sujet sont puissamment mobilisées et l’esprit conscient, placé dans une voie de garage, se trouve ainsi hors d’état de nuire.
La dissociation
La part inconsciente du sujet, laissée la bride sur le cou, est exposée à un déluge d’images et de sons qu’elle prend de plein fouet et sans aucune distanciation critique. Elle traite alors comme c’est son rôle tous les phénomènes qui se présentent comme autant d’expériences et d’apprentissages réels qu’elle a pour mission d’emmagasiner. Soumis pourtant au mêmes péripéties, Conscient et Inconscient se désolidarisent tout-à-fait dans leur interprétation, sans aucune communication comme s’ils s’étaient perdus de vue à deux extrêmités de la salle, allant jusqu’à oublier la présence de l’autre et jusqu’au souvenir qu’à l’origine c’était bien ensemble qu’ils s’y étaient rendus !
La suggestion
Toutes les images suggérées s’enracinent enfin dans le vécu du spectateur et y engravent des émotions variables mais foncières qui vont, selon les parcours de vie, de la panique à la colère, du dégoût au désir, de l’ennui à l’obsession, et suscitant des
des avis tout aussi mitigés, de la dévotion béate à la condamnation sans appel.
On ne saurait trop insister en conclusion sur la puissance pharmacologique de films conçu sur ce modèle, lesquels agissent en effet comme des drogues, tout en mettant en garde leurs consommateurs sur le caractère aléatoire de la prescription et partant sur les résultats obtenus.
Extrait et démonstration en images :