Le ballon est un soleil qui danse aux pieds des dieux, sur leurs genoux, leurs têtes, bondit sur leurs poitrines comme leur cœur à l’intérieur. Le jeu sauvage se déploie dans l’espace-temps, sur les ondes électromagnétiques, sonores, cérébrales et, qui sait, gravitationnelles. Il allume les écrans, les yeux, les âmes, chauffe les sangs, déchaîne les corps, et les fond en une seule entité océanique. Si les dieux nous enfantent, c’est par foules entières. Je me laisse emporter par celle-ci, qui est ivre de joie, de bière, de sa force, ivre d’elle-même. Je sens ma personnalité consciente s’évanouir dans la transe. En lieu et place, un être inconscient émerge et surnage. Il cède à la contagion des idées, des émotions, des tendances comme il la propage, autant qu’une goutte peut, infinitésimalement, infléchir le parcours de la vague. On se lève, on s’embrasse, on se cogne, sans se connaître, on se parle, on se porte, on s’emporte, on converge, et la folie déferle à travers les veines de la ville, les travées, les tranchées, les réseaux du pays, jusqu’aux estuaires du monde.
Que restera-t-il, demain, lorsque tout sera rentré dans l’ordre ? Quand les routines recommenceront sournoisement, patiemment, à nous grignoter de l’intérieur ?
Une intuition. Une émotion. Un parfum peut-être… L’expérience d’avoir plongé dans l’inconscient collectif en train de se faire et qui cristallise déjà en nous sa nouvelle mythologie. En celle de la jeunesse conquérante. A tout prendre, cela vaut mieux que les nostalgies soixante-huitardes. C’est là, c’est à vivre maintenant, intensément.
Illustration : les footballeurs de Nicolas de Staël